Carnet de travail sur la scénarisation d'un long métrage.

Une méthode d'écriture : la méthode libertaire.



mercredi 16 juin 2010

Présentation des comédiens

Extraits d'une séance de travail et d'exploration sur le gros plan et
le visage. Célébration des jeunes comédiens qui s'investissent dans
le projet. Hommage au talent et aux promesses.

Présentation des comédiens from JFaube on Vimeo.

Robert Bresson

"Les idées tirées de lectures seront toujours des idées de livres.
Aller aux personnes et aux objets directement. "

- Notes sur le cinématographe

lundi 14 juin 2010

Beaudelaire. Le voyage.

Merci à ceux qui nous envoient des commentaires, des réflexions et des suggestions de lecture. Voici un extrait du poème Le voyage de Beaudelaire, qu'on nous a pointé du doigt, avec raison. Partir ou rester ? Peut-être que ça ne change rien.


Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

dimanche 6 juin 2010

Connaître le comédien

Une chose est sûre, c’est que parmi les bienfaits de ce journal de bord il y a l’obligation d’une discipline personnelle. La question « qu’est-ce que je vais écrire dans le blogue ?» enchaînée à la question « qu’est-ce qui s’est passé depuis la dernière entrée ?» forme rapidement, à la cheville du blogueur, un boulet qui s’alourdit à mesure que les jours passent. Il s’en est tellement passé des choses que je ne pourrai jamais synthétiser toutes les avancées, les doutes et les misères, les idées et le travail sur le chantier ; le chaos ne peut être décrit et il est sûr qu’en essayant de l’ordonner on le dénature considérablement. Outre l’exhibitionnisme et le narcissisme du phénomène (Bernard Émond parlerait de la déplorable idéologie de « l’expression personnelle ») le blogue sent la mise en scène et le spectacle. Le blogueur est un quêteux qui, par peur d’écrire tout seul dans son cahier, mendie des regards, même abstraits et peu nombreux. Où il y a regard, il y a jeux de rôle, il y a comédien. La vie est un théâtre. Les situations sociales sont souvent des scénarios et des canevas dans lesquels chacun est poussé à jouer un rôle. Plus la mise en scène est précise, plus la situation est claire, plus le jeu est juste : le ton et les gestes du serveur par exemple, sont dictés par toute une série d’indications scéniques non dites ; apprendre le métier de serveur c’est apprendre à intérioriser ces indications.

Parlant de Jean-Paul Sartre, qui a beaucoup dit sur tout cela (c’est lui qui parle du serveur), nous ne pouvons passer outre cette délicieuse citation qui fait un clin d’œil à La nausée.


Betsi Larousse ou l'ineffable eccéité de la loutre, de Louis Hamelin.


Un roman que nous n’aurions jamais lu, si ce n’était de cette recherche et de ce blogue. Belle découverte.

Après un silence, j’ai demandé :
- Alors qu’est-ce que c’est que ce mot : eccéité ?
- Le fait d’être ici ou là, Marc. S’incarner. Si on est là-bas, y être, et si on est ici, y être aussi. C’est la chose la plus importante sauf que c’est de plus en plus rare.
- Ah oui ?
- J’ai vu une loutre, un hiver, sur un lac gelé. Elle est sortie d’un trou dans la glace et s’est roulée dans la neige pour se sécher, ensuite elle m’a regardé et j’ai figé. Je ne bougeais plus. Elle fixait la réalité avec une densité extraordinaire. Je croyais enfin comprendre ce que voulait dire le mot présence, Marc. Quel est ce mot qui veut dire justement qu’il n’y a pas de mot ? Ineffable, voilà. L’ineffable eccéité de cette loutre. Cette loutre a été ma racine de marronier. J'ai eu l'impression d'assister, à travers elle, au dévoilement de l'être, je voulais exister d'une manière aussi brutale et parfaite que la loutre.

L'ailleurs
Cette citation introduit un nouveau thème, l’attrait de l’ailleurs, et surtout son corollaire ; la difficulté d’être présent au monde, d’être dans le ici et maintenant, difficulté très humaine et très poétique qui, une fois médicalisée, s’appelle le déficit d’attention. Nous avons entamé la scénarisation de ce long métrage (car il faut bien commencer quelque part) en partant de la matière que nous possédions d’emblée : une région géographique, la Gaspésie, et des comédiens dans la très jeune vingtaine (le collectif cinéma sur lequel s’articule cette scénarisation). Pour lier les deux, un enjeu psychologique, sous forme de dilemme moral, : partir ou rester ? Difficile, avec un tel point de départ, de ne pas fouler quelques sentiers battus et rebattus et revisiter des grands thèmes comme l’Ailleurs ou de grandes oppositions comme Campagnes/ville ou encore Nature/Culture.

Parlant de nature, Henri David Thoreau a eu cette phrase, à quelque part, qui porte sur les moyens de communication de son époque, mais que l’on pourrait adresser aujourd’hui à celui qui va voir ses courriels et Facebook plusieurs fois par jour, ou encore à celui qui entretient un blogue :

« Plus notre vie intérieure s’étiole, plus on se rend souvent et frénétiquement au bureau de poste ».

Loin de nous l’idée de vouloir thématiser les régions ou de faire un film social sur l’exode rural ou sur la nature. Ce ne sont que des thèmes inspirants que nous jetons dans une même marmite, au-dessus de laquelle, une fois qu’il y a ébullition, nous plaçons notre tête afin d’en recueillir la vapeur. Une fois les sinus bien débouchés, nous serons en mesure de raconter une histoire.

Pour l’instant il convient avant tout de connaître les comédiens ; c'est la matière première. C’est ce que, depuis trois semaines, les séances de travail nous permettent de faire. Puisque nous jouons tous un rôle dans les situations sociales, chaque comédien a déjà, dans sa propre vie, développé un certain registre de jeu. Le scénario de la vie a déjà tracé des grandes lignes de conduite, a déjà écrit un rôle en lui. Il faut partir de ce que dégage le comédien, pas nécessairement de son histoire personnelle, mais de son aura et de sa personnalité. Son jeu dans le film sera beaucoup plus naturel s’il a déjà pratiqué son rôle dans la vraie vie.

lundi 31 mai 2010

L'affliction de rester : Éducation sentimentale de Gustave Flaubert


Il me semble que depuis le début nous cherchons à repérer et
à comprendre "l'attirance juvénile et romantique pour la ville". Le personnage de Frédéric, créé par Flaubert, nous offre une belle expression de ce sentiment, mais surtout de son revers ; l'affliction de rester.

France du 19ième siècle.

Après un séjour à Paris, où il tombe profondément amoureux, Frédéric
retourne voir sa mère en campagne, où il apprend qu'il n'aura pas
l'héritage escompté. Cela veut dire qu'il ne pourra pas, comme il
l'avait prévu, s'installer à Paris et y faire carrière. Il devra
rester près de sa mère.

Extrait savoureux

Dans ses idées, l'art, la science et l'amour (les trois faces de Dieu) dépendaient exclusivement de la capitale. Il déclara le soir à sa mère qu'il y retournerait. Mme Moreau fut surprise et indignée. C'était une folie, une absurdité. Il ferait mieux de suivre ses conseils, c'est-à-dire de rester près d'elle, dans une étude. Frédéric haussa les épaules : "Allons donc !" - se trouvant insulté par cette proposition.
Alors, la bonne dame employa une autre méthode. D'une voix tendre et avec de petits sanglots, elle se mit à lui parler de sa solitude, de sa vieillesse, des sacrifices qu'elle avait faits. Maintenant qu'elle était plus malheureuse, il l'abandonnait. Puis, faisant allusion à sa fin prochaine : - Un peu de patience, mon Dieu ! bientôt tu seras libre !
Ces lamentations se répétèrent vingt fois par jour, durant trois mois ; et, en même
temps, les délicatesses du foyer le corrompaient ; il jouissait d'avoir un lit plus mou, des serviettes sans déchirures ; si bien que, lassé, énervé, vaincu enfin par la terrible force de la douceur, Frédéric se laissa conduire chez maître Prouharam.

jeudi 27 mai 2010

Rester par responsabilité politique

Autre variante sur la question "Partir ou rester ?", premier thème cinématographique à être exploré pour l'écriture de notre long métrage. Le vent se lève, un chef d'oeuvre de Ken loach sur la guerre d'indépendance irlandaise des années 20, alimente notre réflexion. Cette tragédie historique et sociale débute avec le dilemme moral du personnage principal. Damien O'Donovan, jeune irlandais dans la vingtaine se prépare à quitter son village natal pour aller vivre la brillante carrière de médecin qui lui est promise. La veille de son départ, les troubles entre Irlandais et militaires anglais s'intensifient ; un ami d'enfance de Damien se fait tuer. L'écoeurement des Irlandais face à la cruauté et la domination anglaise annonce la guerre civile qui va suivre. On accuse Damien de "partir, alors qu'on a besoin de gens instruits comme lui".
Il restera et se battra au côté de "son peuple", abandonnant sa carrière de médecin, plongeant dans l'Action et dans l'absurdité de la guerre, avec ses contradictions et de ses ramifications idéologiques.

mercredi 26 mai 2010

Les toilettes du pape

Melo est une petite ville d'Uruguay à 60 km de la frontière avec le Brésil. À l'occasion de la visite du pape Jean-Paul 2, la population de Melo, aidée par les médias qui font de l'inflation d'information sur la prétendue venue des Brésiliens voisins, se met à espérer d'un grand jour où soudain le petit commerce pourrait les aider à sortir de leur condition. Beto, un père de famille débrouillard et pédaleur, a l'idée que les touristes brésiliens venus pour le Pape pourraient avoir besoin de toilettes pour satisfaire leurs besoins.




Ce qui est touchant dans ce film, c'est l'histoire de la jeune fille de Beto. Dans la petite ville, les horizons de son futur sont bouchés. Elle rêve d'aller étudier en ville, afin de réaliser son rêve : devenir journaliste. Pourtant, elle ne partira pas. La fin du film nous montre une douce résignation, teintée d'un sentiment de compassion qu'elle ressent brusquement envers ses parents. Quand elle comprend à quel point ses parents, miséreux, travaillent fort pour subvenir à ses besoins, elle est touchée. Son désir de partir, elle l'étouffe dans un drap épais, tissé de honte : elle se trouve égoïste de vouloir abandonner ses parents...