Carnet de travail sur la scénarisation d'un long métrage.

Une méthode d'écriture : la méthode libertaire.



samedi 17 juillet 2010

Ne pas céder à la tentation de la virtuosité narrative, de la "trouvaille" ou de la "pirouette" scénaristique. Si la tentation est trop forte, c'est que nous manquons de foi envers le sentiment ou l'émotion principale du film. Toute panure trahit un vide. Peut-être qu'une histoire ne devrait être préoccupée que de saisir la vérité d'un moment ou d'une émotion.
(Surtout quand il s'agit d'un court métrage.)
Aristote disait qu'il y a trois "moyens essentiels" du tragique ;
1 - La péripétie (ou le retournement)
2 - La reconnaissance (l'énoncé d'une information inconnue jusqu'ici)
3 - L'événement pathétique (action provocant une grande douleur)
Tellement conditionés par la narration télévisuelle, aujourd'hui nous ne savons plus penser qu'en terme de retournements et de surprises.

dimanche 11 juillet 2010

Leçons de fiction - 3


La trilogie de Wajdi Mouawad, présentée à Québec au mois de juin, est composée des pièces Littoral, Incendies et Forêts. Ces trois textes témoignent d’une grande maîtrise des mécanismes dramaturgique. Pour raconter une histoire, Mouawad est un virtuose. Dans chacune de ses pièces, plusieurs histoires s’accumulent en strates et le spectateur doit presque toujours suivre plusieurs générations à la fois. Et dans la plus pure tradition des grandes fresques, la quête initiale du personnage mène à une autre quête, inattendue, beaucoup plus grave et plus grande, parfois collective, des fois spirituelle, toujours reliée à l’identité. Le mot d’ordre : multiplier les intrigues, sans en dénouer une, ou en dénouer une de temps en temps, juste pour ne pas démoraliser le spectateur. Chaque pièce commence d’une belle façon ; on présente une intrigue ; on a pas le temps de dénouer cette intrigue qu’une autre, plus importante, surgit … et puis parfois une autre … et puis une autre. À retenir aussi ; le spectateur aime voir les problèmes s’empiler sur le personnage et l’empêcher de remplir sa quête ; il aime voir une situation qui se complique.

jeudi 8 juillet 2010

Leçons de fiction - 2

Race, de David Mamet

David Mamet est un dramaturge américain qui a écrit de nombreuses pièces de théâtre et de nombreux films. Il a aussi écrit des essais sur le théâtre et le cinéma. Mamet écrit des dialogues de feu. J’ai récemment eu la chance de voir sa dernière pièce, "Race", montée sur Broadway à New York. Voilà une utilisation géniale de la densité narrative et de la superposition des trames. Situation initiale ; les employés d’un bureau d’avocat se demandent s’ils doivent défendre un homme riche et blanc accusé d’avoir violé une jeune femme noire. La première moitié de la pièce est consacrée à ce dilemme, en sein duquel se déploient dans toute leur complexité les thèmes du racisme et de la domination.
Comme pour Good Bye, Lenin!, cette situation initale est progressivement voilée par une autre histoire qui, tranquillement, pousse et finit par occuper tout l’espace émotif. Il s’agit de la relation entre les employés du bureau d’avocat eux-mêmes ; le passé est déterré et les personnages constatent que leur milieu n’est pas exempt de racisme et de domination. Par exemple, si le patron blanc a récemment engagé une jeune secrétaire noire, c’était peut-être en obéissant inconsciemment à un principe de discrimination positive ; et peut-être en garde-t-il un ressentiment qui teinte la façon dont il traite cette employée. Résultat ; une histoire riche et captivante, qui analyse toutes les relations de domination, du viol jusqu'à la relation de bureau, en passant par le sexisme et le racisme. David Mamet nous apprend que la culpabilité sociale et la honte historique sont d’autres facettes de la domination entre les individus.

mercredi 7 juillet 2010

Leçons de fiction. La densité narrative.


J’aime Bernard Émond quand il s’indigne contre le « pareil au même » sécrété par les écoles de cinéma et les formations en scénarisation. J’aime Denys Arcand quand il entame une conférence sur la scénarisation en insistant sur ce point : personne ne sait comment écrire un film, personne ne sait c’est quoi le cinéma. Ceux qui prétendent savoir comment ça marche, ceux-là sont des menteurs. Tous les scénarios que j’aime ont été écrits par des gens qui ne se seraient sûrement pas intéressés à l’écriture si celle-ci obéissait à une recette. Chaque histoire est un nouveau problème qui demande sa propre solution narrative, sa propre structure, sa propre solution formelle. Il faut préserver, dans la scénarisation, la part de recherche, la part de surprise, la part du nouveau et d’inconnu. J’aime encore Émond quand il dit que la meilleure école, c’est de côtoyer et d’étudier les grandes œuvres. Ou du moins : les œuvres que l’on a aimées. Que ce soit en présence de la littérature, du théâtre ou du cinéma, il est toujours bienfaisant de se demander : comment cette histoire fonctionne-t-elle ?
Quelques œuvres de fiction m’ont récemment offert un enseignement précieux et m’ont révéler un élément fondamental de la dramaturgie contemporaine : la densité narrative ou la multiplication des histoires.

Good Bye, Lenin ! de Wolfgang Becker

Le point de départ de ce film est une très bonne idée ; un jeune homme, vivant à Berlin Est, préserve la santé fragile de sa mère en lui cachant un événement historique qui s’est déroulé pendant qu’elle était dans le coma ; la réunification de l’Allemagne. C’est un bon concept, qui ouvre sur une allégorie politique et historique ; mais les bons concepts comme celui-là ne sont pas suffisant pour faire un bon long métrage.

Pourtant Good Bye, Lenin! est un bon long métrage. C’est que dès le début, plusieurs trames narratives évoluent en parallèle et viennent enrichir l’histoire principale ; d’abord l’histoire d’amour du fils, mais surtout le dévoilement mystérieux du passé de la mère, dont le mari l’a quitté. On apprend que c’est elle qui a refusé de suivre son mari à l’ouest et qu’elle a caché les lettres que son mari envoyaient à ses enfants. Ce qui a de particulier avec cette histoire secondaire, c’est que dans la deuxième moitié du film elle finit par prendre toute la place ; les stratagèmes du fils pour masquer la vérité historique à sa mère sont relégués au plan de l’anecdote coquasse. Lentement, le drame familial finit par tisser la véritable émotion du film.

mercredi 16 juin 2010

Présentation des comédiens

Extraits d'une séance de travail et d'exploration sur le gros plan et
le visage. Célébration des jeunes comédiens qui s'investissent dans
le projet. Hommage au talent et aux promesses.

Présentation des comédiens from JFaube on Vimeo.

Robert Bresson

"Les idées tirées de lectures seront toujours des idées de livres.
Aller aux personnes et aux objets directement. "

- Notes sur le cinématographe

lundi 14 juin 2010

Beaudelaire. Le voyage.

Merci à ceux qui nous envoient des commentaires, des réflexions et des suggestions de lecture. Voici un extrait du poème Le voyage de Beaudelaire, qu'on nous a pointé du doigt, avec raison. Partir ou rester ? Peut-être que ça ne change rien.


Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

dimanche 6 juin 2010

Connaître le comédien

Une chose est sûre, c’est que parmi les bienfaits de ce journal de bord il y a l’obligation d’une discipline personnelle. La question « qu’est-ce que je vais écrire dans le blogue ?» enchaînée à la question « qu’est-ce qui s’est passé depuis la dernière entrée ?» forme rapidement, à la cheville du blogueur, un boulet qui s’alourdit à mesure que les jours passent. Il s’en est tellement passé des choses que je ne pourrai jamais synthétiser toutes les avancées, les doutes et les misères, les idées et le travail sur le chantier ; le chaos ne peut être décrit et il est sûr qu’en essayant de l’ordonner on le dénature considérablement. Outre l’exhibitionnisme et le narcissisme du phénomène (Bernard Émond parlerait de la déplorable idéologie de « l’expression personnelle ») le blogue sent la mise en scène et le spectacle. Le blogueur est un quêteux qui, par peur d’écrire tout seul dans son cahier, mendie des regards, même abstraits et peu nombreux. Où il y a regard, il y a jeux de rôle, il y a comédien. La vie est un théâtre. Les situations sociales sont souvent des scénarios et des canevas dans lesquels chacun est poussé à jouer un rôle. Plus la mise en scène est précise, plus la situation est claire, plus le jeu est juste : le ton et les gestes du serveur par exemple, sont dictés par toute une série d’indications scéniques non dites ; apprendre le métier de serveur c’est apprendre à intérioriser ces indications.

Parlant de Jean-Paul Sartre, qui a beaucoup dit sur tout cela (c’est lui qui parle du serveur), nous ne pouvons passer outre cette délicieuse citation qui fait un clin d’œil à La nausée.


Betsi Larousse ou l'ineffable eccéité de la loutre, de Louis Hamelin.


Un roman que nous n’aurions jamais lu, si ce n’était de cette recherche et de ce blogue. Belle découverte.

Après un silence, j’ai demandé :
- Alors qu’est-ce que c’est que ce mot : eccéité ?
- Le fait d’être ici ou là, Marc. S’incarner. Si on est là-bas, y être, et si on est ici, y être aussi. C’est la chose la plus importante sauf que c’est de plus en plus rare.
- Ah oui ?
- J’ai vu une loutre, un hiver, sur un lac gelé. Elle est sortie d’un trou dans la glace et s’est roulée dans la neige pour se sécher, ensuite elle m’a regardé et j’ai figé. Je ne bougeais plus. Elle fixait la réalité avec une densité extraordinaire. Je croyais enfin comprendre ce que voulait dire le mot présence, Marc. Quel est ce mot qui veut dire justement qu’il n’y a pas de mot ? Ineffable, voilà. L’ineffable eccéité de cette loutre. Cette loutre a été ma racine de marronier. J'ai eu l'impression d'assister, à travers elle, au dévoilement de l'être, je voulais exister d'une manière aussi brutale et parfaite que la loutre.

L'ailleurs
Cette citation introduit un nouveau thème, l’attrait de l’ailleurs, et surtout son corollaire ; la difficulté d’être présent au monde, d’être dans le ici et maintenant, difficulté très humaine et très poétique qui, une fois médicalisée, s’appelle le déficit d’attention. Nous avons entamé la scénarisation de ce long métrage (car il faut bien commencer quelque part) en partant de la matière que nous possédions d’emblée : une région géographique, la Gaspésie, et des comédiens dans la très jeune vingtaine (le collectif cinéma sur lequel s’articule cette scénarisation). Pour lier les deux, un enjeu psychologique, sous forme de dilemme moral, : partir ou rester ? Difficile, avec un tel point de départ, de ne pas fouler quelques sentiers battus et rebattus et revisiter des grands thèmes comme l’Ailleurs ou de grandes oppositions comme Campagnes/ville ou encore Nature/Culture.

Parlant de nature, Henri David Thoreau a eu cette phrase, à quelque part, qui porte sur les moyens de communication de son époque, mais que l’on pourrait adresser aujourd’hui à celui qui va voir ses courriels et Facebook plusieurs fois par jour, ou encore à celui qui entretient un blogue :

« Plus notre vie intérieure s’étiole, plus on se rend souvent et frénétiquement au bureau de poste ».

Loin de nous l’idée de vouloir thématiser les régions ou de faire un film social sur l’exode rural ou sur la nature. Ce ne sont que des thèmes inspirants que nous jetons dans une même marmite, au-dessus de laquelle, une fois qu’il y a ébullition, nous plaçons notre tête afin d’en recueillir la vapeur. Une fois les sinus bien débouchés, nous serons en mesure de raconter une histoire.

Pour l’instant il convient avant tout de connaître les comédiens ; c'est la matière première. C’est ce que, depuis trois semaines, les séances de travail nous permettent de faire. Puisque nous jouons tous un rôle dans les situations sociales, chaque comédien a déjà, dans sa propre vie, développé un certain registre de jeu. Le scénario de la vie a déjà tracé des grandes lignes de conduite, a déjà écrit un rôle en lui. Il faut partir de ce que dégage le comédien, pas nécessairement de son histoire personnelle, mais de son aura et de sa personnalité. Son jeu dans le film sera beaucoup plus naturel s’il a déjà pratiqué son rôle dans la vraie vie.

lundi 31 mai 2010

L'affliction de rester : Éducation sentimentale de Gustave Flaubert


Il me semble que depuis le début nous cherchons à repérer et
à comprendre "l'attirance juvénile et romantique pour la ville". Le personnage de Frédéric, créé par Flaubert, nous offre une belle expression de ce sentiment, mais surtout de son revers ; l'affliction de rester.

France du 19ième siècle.

Après un séjour à Paris, où il tombe profondément amoureux, Frédéric
retourne voir sa mère en campagne, où il apprend qu'il n'aura pas
l'héritage escompté. Cela veut dire qu'il ne pourra pas, comme il
l'avait prévu, s'installer à Paris et y faire carrière. Il devra
rester près de sa mère.

Extrait savoureux

Dans ses idées, l'art, la science et l'amour (les trois faces de Dieu) dépendaient exclusivement de la capitale. Il déclara le soir à sa mère qu'il y retournerait. Mme Moreau fut surprise et indignée. C'était une folie, une absurdité. Il ferait mieux de suivre ses conseils, c'est-à-dire de rester près d'elle, dans une étude. Frédéric haussa les épaules : "Allons donc !" - se trouvant insulté par cette proposition.
Alors, la bonne dame employa une autre méthode. D'une voix tendre et avec de petits sanglots, elle se mit à lui parler de sa solitude, de sa vieillesse, des sacrifices qu'elle avait faits. Maintenant qu'elle était plus malheureuse, il l'abandonnait. Puis, faisant allusion à sa fin prochaine : - Un peu de patience, mon Dieu ! bientôt tu seras libre !
Ces lamentations se répétèrent vingt fois par jour, durant trois mois ; et, en même
temps, les délicatesses du foyer le corrompaient ; il jouissait d'avoir un lit plus mou, des serviettes sans déchirures ; si bien que, lassé, énervé, vaincu enfin par la terrible force de la douceur, Frédéric se laissa conduire chez maître Prouharam.

jeudi 27 mai 2010

Rester par responsabilité politique

Autre variante sur la question "Partir ou rester ?", premier thème cinématographique à être exploré pour l'écriture de notre long métrage. Le vent se lève, un chef d'oeuvre de Ken loach sur la guerre d'indépendance irlandaise des années 20, alimente notre réflexion. Cette tragédie historique et sociale débute avec le dilemme moral du personnage principal. Damien O'Donovan, jeune irlandais dans la vingtaine se prépare à quitter son village natal pour aller vivre la brillante carrière de médecin qui lui est promise. La veille de son départ, les troubles entre Irlandais et militaires anglais s'intensifient ; un ami d'enfance de Damien se fait tuer. L'écoeurement des Irlandais face à la cruauté et la domination anglaise annonce la guerre civile qui va suivre. On accuse Damien de "partir, alors qu'on a besoin de gens instruits comme lui".
Il restera et se battra au côté de "son peuple", abandonnant sa carrière de médecin, plongeant dans l'Action et dans l'absurdité de la guerre, avec ses contradictions et de ses ramifications idéologiques.

mercredi 26 mai 2010

Les toilettes du pape

Melo est une petite ville d'Uruguay à 60 km de la frontière avec le Brésil. À l'occasion de la visite du pape Jean-Paul 2, la population de Melo, aidée par les médias qui font de l'inflation d'information sur la prétendue venue des Brésiliens voisins, se met à espérer d'un grand jour où soudain le petit commerce pourrait les aider à sortir de leur condition. Beto, un père de famille débrouillard et pédaleur, a l'idée que les touristes brésiliens venus pour le Pape pourraient avoir besoin de toilettes pour satisfaire leurs besoins.




Ce qui est touchant dans ce film, c'est l'histoire de la jeune fille de Beto. Dans la petite ville, les horizons de son futur sont bouchés. Elle rêve d'aller étudier en ville, afin de réaliser son rêve : devenir journaliste. Pourtant, elle ne partira pas. La fin du film nous montre une douce résignation, teintée d'un sentiment de compassion qu'elle ressent brusquement envers ses parents. Quand elle comprend à quel point ses parents, miséreux, travaillent fort pour subvenir à ses besoins, elle est touchée. Son désir de partir, elle l'étouffe dans un drap épais, tissé de honte : elle se trouve égoïste de vouloir abandonner ses parents...

Partir ou rester : TULPAN

Le meilleur film vu en 2009. Une mise en scène pleine de petits miracles, dans les magnifiques et poussiéreuses steppes du Kazakhstan.

Après un service militaire dans la marine, le jeune marin Asa retourne à la steppe kazakh où sa soeur et son mari berger mènent une vie nomade. Pour commencer sa nouvelle vie, Asa doit d'abord se marier afin de devenir berger lui-même. Son seul espoir dans la région est une jeune fille prénommée Tulpan, la fille d'une autre famille de berger. Mais le pauvre Asa est déçu quand Tulpan le rejette en pensant que ses oreilles sont trop grandes. Déçu par cet échec, influencé par un ami, il est de plus en plus attiré par la ville ...

Partir ou rester

Après une première séance de travail avec les comédiens (moyenne d'âge : 20 ans), voici les premiers spasmes d'un synopsis encore plein de brouillard.

Un été dans la vie de quelques jeunes personnes. Du temps libre fait de oisiveté et de nonchalance, pendant lequel, parmi plusieurs préoccupations, émerge cette question : faut-il partir ou non de chez soi ?

L'oisiveté comme point de départ, c'est très excitant ; ça renvoie très vite au maître du genre : Tchekhov.

Toutes les pièces de Tchekhov illustrent bien cette citation de Romain Gary, que j'aime beaucoup :
"La véritable tragédie, c'est peut-être quand il ne se passe rien."

dimanche 23 mai 2010

Qu'est-ce que la tradition ?

"De l’ancien monde ne subsistent parfois que bribes et fragments déchargés du poids des certitudes".

Éditorial - La tradition, le maître et la philosophie - Le Magazine Littéraire

mercredi 19 mai 2010

Première rencontre

Demain soir c'est la première rencontre avec les comédiens. Une douzaine de braves jeunes gens ont répondu à l'appel. Je leur expliquerai mon projet et ils auront à décider s'ils embarquent ou pas.

Tout est dans l'équipe, à ce qu'on dit.

Tous les débuts sont gorgés d'espoir.

Robert Bresson :
"Ne pas tourner pour illustrer une thèse, ou pour montrer des hommes et des femmes arrêtés à leur aspect extérieur, mais pour découvrir la matière dont ils sont faits. Atteindre ce "coeur du coeur" qui ne se laisse prendre ni par la poésie, ni par la philosophie, ni par la dramaturgie".
Un chic type, Bresson.

Chomsky ou Feyerabend

Je ne me souviens plus lequel des deux a donné cet exemple. Noam Chomsky, célèbre linguiste, ou Paul Feyerabend, éminent scientifique ?

Comment l'enfant fait-il l'apprentissage des nouveaux mots ?


Un enfant qui apprend un mot le fait en expérimentant. Il l’a entendu, il imite, il le répète, il l’utilise ici et là ; la signification du mot vient avec l’utilisation, avec le contexte, avec les réactions et les réponses que le mot engendre. L'idée, le sens du mot, n'est pas séparé de l'utilisation pratique que l'enfant en fait. Théorie et pratique s’alimentent mutuellement, l’Idée, dans l'apprentissage, n'est pas séparée de l’Action.


La vérité, c'est qu'autant Chomsky, qui a fréquenté en bas âge une école "libre" et antiautoritaire, que Feyeraband, qui, dans son livre "Contre la méthode", parle d'une connaissance "anarchiste", aurait pu donner cet exemple.


La connaissance réelle serait pratique et non pas séparée du réel. La plus belle connaissance est peut-être celle qui est naturelle ; on apprend les mots dont on a besoin ... Un mouvement continue entre l'Idée et l'Action, jamais séparées, se nourrissant toujours l'une l'autre. Tel est le mode libertaire de la connaissance.

Qui nous inspire.

lundi 17 mai 2010

Autre exemple de création "libertaire"

Voici la bande annonce d'un court métrage produit par le collectif cinéma du Cégep de Gaspé et dont le scénario fut écrit collectivement. Nous sommes très fiers de ce court métrage de 16 minutes tourné en une journée et demi et qui réussit, en un même souffle en noir et blanc, à rendre hommage à Albert Camus, Andreï Tarkovsky et Michael Jackson.

La danse de Michael Jackson from JFaube on Vimeo.

Constantin Brancusi

S’il y a quelqu’un qui, dans la création artistique, a appliqué cette méthode libertaire dont nous parlons, c’est Constantin Brancusi : l'un des sculpteurs les plus influents du début du XXe siècle. Roumain d’origine, il s’est exilé à Paris pour pratiquer son art (on dit qu’il aurait fait le voyage à pied tellement sa détermination était grande). Quand Brancusi sculptait, il le faisait non pas avec une idée préconçue (ou très peu), mais toujours en restant attentif aux « forces » de la matière. Si tel bois tendait déjà vers une forme, ou telle pierre portait déjà une tension en elle, son travail de sculpteur consistait à laisser s’exprimer cette beauté déjà contenue dans la matière. Il sculptait en accord avec la matière, et non contre elle. Cette méthode, qui opère un joyeux compromis entre la volonté du créateur (ses idées, ce qu’il a à exprimer) et la matière, a conduit, dans son cas, à une abstraction et une pureté peu égalées.







La méthode (3)

Assouplir l’autoritarisme du scénario écrit

Concrètement, la méthode libertaire, appliquée à la scénarisation, qu’est-ce que ça donne? Ça donne un processus de création décentralisé. Sans partir d’une idée préconçue ou d’un scénario bloqué, il s’agit de travailler dès le début avec les « forces » qui existent déjà, à l’état naturel, dans la « matière ». La matière première, dans le cas d’un film, c’est le comédien.

L’écriture du long métrage sera donc alimentée par des séances de création avec des comédiens. Ces séances de création seront faites de discussions et d’exercices, d’improvisations et de répétitions filmées. Ce sont les comédiens qui, lors de ces séances, dégageront les thèmes qui les intéressent et feront progressivement naître des situations dramatiques, des dialogues et des personnages.L’inclusion des comédiens très tôt dans le processus vise à réduire l’emprise totalitariste du récit et du scénario. Il s’agit de laisser le scénario, dans son développement, se nourrir des personnalités, des surprises, des incidents de parcours, des imprévus, de l’insoutenable diversité humaine et de la richesse débordante de la vie. Assouplir l’autoritarisme d’un scénario écrit.

Oui, j’ai une idée de départ. Mais cette idée, je la déposerai sur le même sol que les comédiens : elle constituera une matière de départ. Les premières séances seront de confronter cette idée aux comédiens et de voir le dialogue qui s’installera entre elle et eux : surgira de nouvelles idées qui seront sûrement plus intéressantes.

C’est donc cette méthode d’écriture que je souhaite utiliser pour la scénarisation de ce long métrage. C’est pour cette raison que le synopsis, pour l’instant, est mince et ouvert ; car je veux que l’histoire se développe en se confrontant très tôt à la réalité des comédiens. Le pari, c’est que cela favorisera la création d’une œuvre vivante et débordante, ouverte aux surprises, à la folie, au mystère et à la poésie.

dimanche 16 mai 2010

La méthode (2)

La méthode libertaire

Contrairement au bolchevisme ou au marxisme-léninisme, il n'y a pas, dans la méthode libertaire pour parvenir à la révolution, une séparation entre l'Idée et l'Action. Il y a rarement, chez les théoriciens anarchistes, de systèmes conceptuels arrêtés. Très peu d'entre eux ont osé décrire ce à quoi une société anarchiste pourrait ressembler parce qu'ils savent qu'une société complètement libertaire sera avant tout à l'image des gens qui la composent ; elle est donc imprévisible. Chez eux, en tout cas, pas de recette à suivre. Pas de scénarisation préalable de l'Histoire qui guiderait tous les gestes politiques à poser : la nouvelle société se construit ici et maintenant, la théorie se construit alors que nous sommes plongés dans l'Action, dans les luttes sociales. La théorie et la pratique s'alimentent ; les Idées façonnent la matière et la matière façonne les Idées.




L’anarchisme, c’est la réappropriation par chacun de sa propre existence ; ses relations, son quartier, sa famille, son milieu de travail. C'est la redéfinition de tous ces modes "d’être au monde" qui nous ont été imposés par l’idéologie marchande, et dont la connaissance requise pour les réinventer nous manque (remplacée par une connaissance universitaire, carriériste et séparée de la vie). Délivrée de toute force centralisatrice, c'est une organisation basée sur la libre association et la démocratie directe. Dans les caractéristiques de ce type de révolution, nommons également la place laissée à la spontanéité, aux sentiments et aux intuitions, ce qui contraste avec la Raison froide et bureaucratique de la révolution bolchevique.

Scénariser un film en suivant la méthode libertaire, ça voudrait dire quoi ?

samedi 15 mai 2010

La méthode (1)


Comparer l’écriture d’un scénario à la révolution est sans doute un peu abusif. Mais cette métaphore flamboyante et naïve démontre d’emblée tout le romantisme dont nous sommes capable et introduit bien l'ardeur juvénile que nous tenterons d'injecter tout au long de cette aventure. C'est bien connu qu'à l'origine de toute création artistique doit se retrouver cette aspiration à l'absolu qui nous a illuminés à 16 ans et que nous prenons soin, le reste de notre vie, d'enterrer sous des préoccupations farfelues, comme l'achat d'un nouveau classeur pour ses papiers d'impôts ou encore la victoire du Canadien de Montréal.

La méthode bolchevique
Selon cette école de pensée, la révolution, c'est le renversement du pouvoir par un plan pré déterminé. C’est la concrétisation d’un plan conçu intellectuellement, dans le monde des idées. C'est la mise en pratique, dans la vraie vie, d’une théorie de l’Histoire. L'Idée vient avant l'Action.
Le malheur de cette méthode, c'est justement que l'Idée et l'Action ont été trop longtemps séparées. L'dée gonfle, seule, se peaufine, en vase clos, jusqu'à la perfection : au moment d’appliquer cette idée dans la réalité, c’est toujours pareil. La réalité résiste, la vie déborde des concepts, il y a des fuites, il faut gérer l'insoutenable diversité de l'humain, peu réductible aux Idées. L'Histoire était déjà écrite, il restait à la faire jouer au peuple, mais celui-ci, n'ayant pas participé à la scénarisation, avait du mal à dire ses répliques naturellement. Conjugué à la Raison étatique, froide et bureaucratique, cet asservissement total à l'Histoire a donné les atrocités que l'on sait ; le Goulag, les famines en Ukraine et les purges staliniennes.
Écrire un film
Ce qu’on apprend dans les écoles de cinéma, c'est une méthode de scénarisation qui débouche aussi sur une forme de totalitarisme et un asservissement total du tournage à "l'histoire écrite". On apprend que la scénarisation se fait indépendamment et avant le tournage, que les dialogues sont écrits avant de rencontrer les comédiens, etc. Ici aussi, l'Idée, fabriquée solitairement et dans une bulle, vient avant l'Action. Le tournage consiste à plaquer le scénario sur la réalité : trouver des comédiens qui incarneront exactement les personnages décrits, trouver des lieux qui cadreront le plus possible avec les choix du scénario, quitte à parfois transformer la réalité, par un habile jeu de maquillage et de direction artistique. Il s’agit encore une fois de plaquer « l’Idée » sur la « réalité » et de masquer les parties de la réalité qui ne « cadrent » pas.
Cette façon de créer asservit la matière (comédiens, sentiments, lieux, situations) à la volonté conceptuelle du scénariste. Par cette méthode, on évacue trop rapidement la richesse de la vie, on se prive de l'imprévisible diversité des choses et des humains et par là, de beaucoup de beauté et de poésie.
Mais une autre méthode est possible.